Édition – Mai 2010
Monique s’inquiète pour son mari. Il est taciturne et se plaint constamment de ses courbatures. Mon Paul est un peu zombie, me dit- elle. Il va son chemin, ne se plaint jamais, et traîne sa douleur. Jusqu’au jour où il est allé chez un praticien qui prodigue des soins exclusifs. L’unique traitement qu’il a reçu, l’a persécuté pendant des jours. Son voisin a tourné le fer dans la plaie en déduisant que tous traitements de type massage, expérience qu’il n’a jamais vécu, doivent être abrutissants. Recevoir en dormant sur une table, entraîne obligatoirement la nonchalance et le crétinisme, pense-t-il. -Dites-moi Pierre, est-ce possible que les traitements manuels ne lui conviennent pas?
Précisons une chose, ma chère Monique. Un mauvais massage risque souvent d’augmenter nos résistances. S’il est trop doux ou trop violent, il a peu de chance d’être efficace. Pour ce qui est des personnes prétendant pratiquer des soins exclusifs, ils trahissent une préoccupation de rentabilité beaucoup plus que de soin attentif. C’est « une personne » qui vous apporte le mieux-être et non « une technique ». L’être humain qui masse doit vous inspirer et ses mains aussi. Par conséquent, c’est votre intuition qui vous guidera le mieux. Encore faut-il en avoir! Ce qui n’est pas le cas pour un zombie.
La métaphore du zombie renferme plusieurs vérités. Son comportement est motivé par des réflexes dépourvus de sensibilité et d’imagination. Il reproduit certains gestes sans se préoccuper des conséquences, comme s’il n’était responsable d’aucune conjoncture. Son corps se meut sans ressentir l’agrément d’avancer un pied après l’autre, tout en prenant plaisir à respirer profondément ou remarquer la chute fortuite d’une feuille. Même l’instant présent défile trop vite. Il ne décide pas de tourner à gauche ou à droite, il est aspiré par un des côtés. Et s’il ne l’est pas, il fonce tout droit dans le mur. Si vous lui servez à boire dès que son verre est vide, il boira sans arrêt. Son téléphone portable ne lui est pas utile, il en est soumis. Une période de repos n’est pas un doux plaisir, mais un cycle à ruminations! Le zombie est une personne en apparence animée, mais dépourvue de perceptions construites à partir de ses sensations.
Paul enseigne à l’université. De manière cérébrale, il est clairvoyant. Ce qui n’est pas le cas du point de vue pratique. D’après ses propres estimations, son organisme manque de zinc, de calcium, de fer. Il s’en est procuré une bourrée qu’il oublie de prendre comme il oublie souvent de déjeuner. Son cerveau gère les informations, mais le corps est déconnecté. Les yeux voient et les oreilles entendent, mais les sens ne sont pas solidaires. Bref, une créature capable de se mouvoir selon les indications et de parler quand c’est nécessaire. Le zombie exécute sans être à l’affût de la vibration de ses sens. Se bornant à n’habiter que sa tête, c’est sa cervelle en friture qui lui procure volupté. Il ne ressent pas les dysfonctions, il incarne les dysfonctions. Il oublie ses clés, renverse son café, cherche ses lunettes qu’il a au bout du nez, retourne en métro alors qu’il a pris son auto le matin. Pendant ce temps-là, son organisme explore toutes les solutions de rechange sur ses malaises non réglés, embourbés déjà dans ses troubles progressifs de perception.
Massage placebo
Monique connaît bien son Paul, elle soupçonne bien, que la décision d’aller se faire masser doit venir de lui et non d’une autre personne. Je sais trop, me dit-elle, que dès qu’il appuiera la tête, il s’endormira comme une bûche. Le massage sera-t-il aussi agissant? Est-ce qu’on peut parler d’un massage placebo?
-Je ne comprends pas trop votre question, Monique. –Autrement dit, les principes actifs opèrent-ils sur le dormeur? À la fin de la séance, lorsqu’il se réveillera, attribuerait-il la relaxation à son massage ou à sa sieste? De là, l’effet placebo du massage que, somme toute, vous n’auriez pas eu conscience de recevoir. -C’est original comme réflexion Monique, mais je crois que la phase du sommeil profond ne permettrait aucune forme de massage. À la limite, elle aurait un effet aussi néfaste qu’une mauvaise digestion qui tourmente l’esprit. En fait, il est impossible de dormir lorsqu’on reçoit un massage. Lorsque vous vous êtes assoupie sur la table, vous êtes en fait en phase de déconnexion moteur, mais vous êtes parfaitement conscient. À preuve, si je vous posais une question alors que vous êtes dans cet état, vous me répondriez, naturellement et avec calme, même si vous êtes en train de ronfler ! Le contraire veut que, la nuit, le court instant où vous corrigez votre posture de sommeil, vous vous affirmez dans votre recherche d’un meilleur confort. Cela prouve que vous adaptez votre position pour savourer ledit mieux-être du sommeil. Vous n’êtes pas en mode de recevoir, mais de transmettre. Votre corps s’exprime et votre organisme cherche à se remettre en bon état. Alors qu’une séance de massage, produit une constante et vive impression. Il insuffle de l’énergie, et nourrit les sens. Celle-ci agit sur le conditionnement de la personne en la soutenant jusqu’à l’évacuation des tensions contrariantes. L’effet placebo, comme le cliché du faux remède qui soulage, nous renvoie à cette grande vérité, que le corps n’avait pas besoin de traitements, mais d’attention. Mais nous jouons avec les mots, toutes formes de médications ont, potentiellement, cette forme de sournoiserie. Le malaise passé, qui vous dit que c’est vraiment le produit qui en est responsable.
Dans le cas du zombie, le réflexe conditionnel reste ancré au fond du subconscient. Si je vais mieux, c’est le résultat d’un évènement extérieur à mon corps. Si je vais mal, je dois repartir à la chasse à la potion. Et ce sont justement les potions qui rendent zombie, pas tant par leurs effets que par le comportement qu’il entraîne; celui de ne pas avoir le temps de nourrir ses sens et de persévérer dans ses gestes machinaux.
La revanche du zombie
Pendant son massage, Monique se remémorait les quelques séances qui ont suffi pour que ses symptômes les plus tenaces disparaissent. Je voulais changer de corps, me dit-elle, mais, j’ai changé d’attitude et choisis d’apprendre à me servir de mon corps. À chaque massage, je progresse. Quelquefois, je suis tellement émue que j’en suis bouleversée.
C’est vrai que parfois le monde est à l’envers. J’ai accompagné Monique, qui sortait de chez moi, pour récupérer mon courrier dans la boîte aux lettres. En la regardant partir, l’âme enthousiasmée, je constatai qu’elle avançait d’un pas lent et perplexe. Devrais-je vous l’avouer? On aurait dit qu’elle se déplaçait comme un zombie! Était-ce par sympathie!!!
Auteur :
Pierre Buron
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