Édition – Février 2010
Elles en ont marre des surprises-parties où personne n’est surpris. Où les gars se saoulent en deux trois gorgées et les filles se tiennent entre elles, en attente de sensations plus fortes que des conversations d’australopithèques juvéniles. Pour l’anniversaire d’Émilie, les copines ont préféré organiser une course au massage-trésors. Elles ont passé le net au peigne fin. Noémie a repéré le massage Heza. Elle est donc venue en éclaireur. Noémie souhaite s’improviser connaisseuse en la matière. Après tout, cela fait dix mois qu’elle a 18 ans, elle. L’alibi est parfait pour calmer cette envie immense de recevoir.
Noémie s’est réveillée en sursaut après s’être assoupie sur la dernière ambiance musicale. Après s’être rhabillée lentement, un peu sonnée, nous avons procédé à l’entretien qui boucle la séance et met de l’ordre dans les nouvelles perceptions. Dans son cas, les besoins particuliers sont de diminuer la tension dans ses jambes; de lui faire prendre conscience de la relation entre les talons de ses chaussures un peu trop hauts et son mal de dos; son ventre trop tendu et ses problèmes de règles et de constipation; ses problèmes cutanés et sa mauvaise habitude de ne pas déjeuner… C’est un peu tôt pour faire son profil santé, mais dans le cas des personnes de 18 à 22 ans, leur corps est mature et non engorgé par les attitudes imposées par le monde du travail. Il est donc facile de repérer l’organe qui les caractérise puisque leur corps est limpide. Dans son cas, Noémie est de type Coeur. On constate les symptômes là où le méridien du Coeur traverse son corps ; les bras raides, le teint constant, l’oreille externe délicate et le coin interne des yeux prononcé. Lorsqu’un cœur est contrarié, l’intestin grêle risque d’être à son tour surchargé de travail. De plus, son groupe sanguin O est vulnérable aux changements nutritionnels ou environnementaux. On reconnaît à l’élément Cœur, le désir de se réaliser, de s’accomplir. Il est par contre sujet à l’insomnie et à l’épuisement nerveux. Elle a tendance à se laisser envahir par les problèmes de l’autre et oublier ses besoins fondamentaux.
D’ailleurs, elle tente de se dérober des questions qui la concernent pour bavarder d’Émilie et son éventuelle première expérience. Je m’empresse de lui souligner : -C’est peine perdue Noémie, je ne raconterai pas l’expérience d’une personne que vous connaissez intimement. Surprise, Noémie me fait la remarque : -Vous écrivez à tour de bras les expériences de plein de monde. Pourquoi ne raconteriez-vous pas notre expérience! – C’est possible seulement si vous vous êtes concertées et que vous êtes toutes d’accord. Avec votre consentement, ce serait même très intéressant de connaître les raisons qui vous ont motivées à vivre cette expérience.
Noémie raconte donc, que cette idée avait germé lorsqu’elles avaient assisté à un de mes ateliers au collège. Noémie, Esther et Bianca avaient commencé leurs discussions sur les différentes techniques et s’échangeaient les comptes-rendus de leurs résultats. Elles m’ont donné la permission de copier un extrait de leur correspondance pop techno gotik !!!
Noémie : Y’a pa gran chose de consistant sur le massage sof qqzun. Otrement y’a plin de sites web kineçon q des grosses pubs qui offrent plein de services & gadgets cucus L
Bianca : tu veu dire service de cul J
Noémie : Toi quèss ta trouvé ?
Bianca : Ma sœur madi, pas les spas pcq cé cher et impersonnel. Il fo quiè le nom d’une personne et sa photo sur le site pi fo pas q le massage soit associé à l’esthétique sinon cé du bizounage
Noémie : Chacun son trip, moi je ne veux pas aller dans un disneyland de la détente
Esther : C Cool le site Alternative Santé tatu vu la Gazette des thérapeutes, y’a plein de trucs la dedans. Ma mère m’a dit quison pamal intéressant. Elle dit que quand savapa, elle pitonne Alternative Santé. Y’a toujours réponse à nimportekoi sur les sujets importants
Noémie : Y’a le gars ki fait du Heza, ki donne bcp de détails. On devrait le suggérer comme cado à notre Émilie. K pense-tu ?
Bianca ; Ben avant j’amerais savoir pour la Thalasso
Noémie ; Té fol la thalasso cé pour les poupounes
Esther: Ouais c vrai. Les petits jets chauds sur le dos, le gommage à la menthe, les techniciennes tarées ki nous tutoies comme des attardées. Y zoffre toutes sortes de services débiles. Me faire crémer au chocolat ou emmailloté comme un shish –taouk, ce n’est pas mon truc. Pi l’odeur des algues me dégoûte
Noémie ; Chu déjà allé dans un genre de bain de bouette. On était quatre à tremper dans la diarée de l’otre. Kesse kon peut être connes les filles défoi. Y avait même une mongole avec un masque de mayonnaise qui se vantait de sa peau moelleuse. Jpense k c son cerveau qui était moelleux.
Bianca : C dégueux ton affaire. Bon ben fo s’grouiller. Spa pour sa retraite con veu lui offrir. Passons-nous aux vraies affaires ?
Noémie : Chère Émilie, ns avons fait bocou de recherche. Va te balader sur la Gazette des thérapeutes massage Heza pour voir. Moi chu allé voir le masso. C toute unexpérience.
Émilie : J’ai lu l’article : Mon premier vrai massage. Sa te ressemb
Noémie : Le plus capoté c le texte: Massage, sexualité et gâteau au chocolat, c cute et samedi qu’on a une sérieuse longueur d’avance sur les vieilles de trente ans.
Émilie :Bon ok Pr moi Y’a kune fasson del savoir. Jivais. Viendrais-tu avec moi ?
SANTÉ REBELLE
Alors que d’ordinaire, c’est moi qui procède à une petite entrevue, pour créer la fiche de la cliente, ce sont les filles qui ont mille questions et réflexions à partager. Et si leur comportement timide génère une certaine fraîcheur, leur fébrilité les porte à ne pas mâcher leurs mots. Ce qui m’entraîne à être bref et précis dans mes réponses. Noémie engage la conversation pour démontrer ses connaissances.
Tu vas voir, ce qui est bien avec le massage, c’est qu’on découvre les endroits sensibles de son corps. Moi, c’était l’intérieur des mains, les pieds, la nuque et le bas du dos. J’aime beaucoup la sensation des huiles essentielles également.
Masseur : Nommez-moi une odeur que vous aimez ?
Émilie : Ça fait un peu bizz vos questions sur le goût, les odeurs, les textures.
Masseur : La précision de votre réponse va m’indiquer lequel de vos sens est le plus en éveil.
Émilie : ché pas…Certaines voix humaines me réconfortent.
Masseur : Est-ce que vous êtes salé ou sucré
Émilie : Mon chum dit que je goûte sucré. C vrai q c ma tendance !
Masseur : Tolérez-vous mieux le chaud ou le froid ?
Émilie : qu’est-ce que vous voulez dire par là !
Noémie : Come on Émilie, joue le jeu. Es-tu spm ou quoi ?
Émilie : Moi je voudrais savoir : allez-vous me masser partout ?
Masseur : Vous ne venez pas voir un masseur professionnel pour faire des flatte- flattes ! C’est le trac de la débutante qui vous fait hésiter, mais il est tout aussi vrai à 30, 50 ou 70 ans. Oui, je masse partout. La région des hanches, l’aine, le sacrum… sont fondamentales dans un massage holistique.
Émilie : C’est quoi holy stick ? Ça fait sexuel…
Masseur : Un massage digne de ce nom doit tenir compte de l’ensemble du corps et de l’équilibre des systèmes.
Émilie : C’est cool, mais j’ai peur davoir la gastro
Masseur : Si c’est le cas, il ne me restera qu’à bien vous emmailloté et vous aurez une algothérapie gratuite.
Émilie : Pfffffff ! Noémie tu peux sortir. Je préfère être massée sans tarder.
MORPHOPSYCHOLOGIE
Émilie saisit qu’elle ne peut entretenir de conversation pendant le massage. Le silence la contrarie, mais elle constate toute l’importance de ne pas être distraite par des salamalecs. Progressivement, elle ressent toute la force d’être entièrement dans la sensation présente. L’intensité de sa concentration donne l’impression que le massage est trop court.
La première chose qu’elle fait en se levant, c’est de vérifier l’heure. Le massage a duré quatre- vingts minutes. –Et vous, quelle heure avez- vous, me demande-t-elle? – Après l’avoir rassuré, j’ai moi aussi un dernier sprint de questions. Cette courte entrevue a comme objectif d’avoir un feedback concret. Il ne s’agit donc pas de demander si on a aimé, puisque la réponse risquant d’être une simple politesse, ne m’instruit en rien. Je veux connaître la séquence que la personne a le plus apprécié, ou plus ou moins supporté, parce que cela va me donner des indications précises sur les blocages et l’efficacité à avoir libéré ses tensions. Mes questions sont donc directes. -Quelle est la partie du corps où c’était sensible? Y’a-t-il une séquence que vous auriez aimée plus longue? Émilie fait glisser la conversation rapidement sur la sobriété de ma salle de massage, les odeurs, la texture des draps, des coussins…J’insiste pour reprendre la discussion sur sa personne. Elle prétend avoir tout compris. –Avoir compris quoi?
Soudain, elle m’a regardé pour la première fois, droit dans les yeux, en prenant une grande respiration. Elle s’est mise à parler d’une voix plus grave, en pesant bien ses mots. -Lorsque j’ai enfin accepté votre regard sur mon corps, j’ai lâché prise. Je me répétais : il en a vu plein d’autres, des filles moches, mignonnes ou excentriques, et je sentais que vos mains ne me jugeaient pas. Mes jambes étaient soudainement plus longues. Je n’étais plus une gamine, j’étais une femme. Je n’étais plus mal fichue. Dès que vous m’avez massé le dos, la pression a diminué. Au fur et à mesure que l’expérience se déroulait, j’avais l’impression que quelque chose se manifestait. J’étais là, parce que je le voulais et non parce que les autres l’avaient déterminé.
Son témoignage est aussi saisissant que son attitude. Pendant quelques minutes, elle exprime avec précision toute la problématique à laquelle son corps est confronté.
Émilie : Il me semble que c’est une expérience beaucoup plus utile que de consulter un psy ou un sexologue. Cette démarche s’engage dans ma quête de bien-être et non pour me conformer au monde des vieux adultes. Même si c’est vrai qu’on cherche à copier les plus vieux, les plus vieux aussi veulent voir en nous une génération plus dégourdie. Cela pousse trop souvent à l’hypersexualisation.
Masseur : Trouviez-vous le massage trop sensuel?
Émilie : Non, au contraire, je constatais que cela me rapprochait de mes sens, du bon sens. Je peux habiter mon corps en paix, le laisser s’exprimer, sans culpabilité, sans schème imposé. La sexualité, dans l’absolu, n’est pas une entité. Les comportements sexys, sont tributaires de notre bagage génétique, de l’intégration de nos expériences et de l’aguerrissement de notre confiance. Les effets pervers du sex-look, sex-web, sex-music nous éloigne de notre corps. Et en ce sens, franchement votre massage m’a affranchi.
Masseur : Franchement votre témoignage m’impressionne tout autant. Il est rare qu’une jeune personne puisse exprimer avec autant de verve cet enthousiasme. Vos blogs donnent l’impression que vous avez un langage primitif. On y lisait pour autant, entre les lignes, une joie de vivre et une volonté de vous procurer un bien- être personnel.
Émilie : Peut-être que nos discussions pouvaient ressembler à du lèche-vitrines, alors que mes amies souhaitaient éviter les soins superficiels d’un endroit In. Si c’est pour épater les amies par la description du décor et de l’ambiance, cela est une satisfaction bien éphémère. Je ne veux pas me faire masser par une entreprise, mais par un masseur qui a une structure, un masseur qui me reconnaît comme un individu à part entière et non une cliente qui rapporte.
Émilie se lève, pressée de se retrouver seule avec elle-même et d’écrire, dans son journal intime, ses belles réflexions qui ont germé spontanément. Elle était maintenant convaincue qu’elle pourrait parler librement de ses préoccupations, de ses mauvais souvenirs, de sa récente mononucléose. Le prochain massage perpétuera non seulement le plaisir de recevoir et de se détendre, mais d’autres représentations sensorielles feront surface et mobiliseront son énergie créatrice.
– Ne vous posez pas trop de questions, Émilie. Si votre sensation de bien- être s’est accrue, c’est que vos organes récepteurs ont transformé les stimulations en un état particulier de la conscience. Il faut laisser émaner patiemment les expressions du corps pour permettre l’émancipation de l’esprit.
Émilie et Noémie sont reparties par le métro en silence. Il y avait trop de choses à se dire, fallait laisser les idées se mettre en place. La sonnerie du cellulaire de Noémie les a ramenées sur Terre. Elles se sont regardées. La planète pouvait bien attendre encore une heure avant de se remettre à tourner.
Auteur :
Pierre Buron
514-266-6755
massageheza@gmail.com
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