Édition – Février 2009
Marie-Soleil est du genre fonceur. Sa façon de décrire ses activités et ses habitudes visant à favoriser sa santé me porterait à croire qu´elle gère bien ses occupations et leurs facteurs de stress. Après avoir complété sa fiche avec les utilitaires renseignements et avant de l´inviter à s´installer, je lui demande si elle a déjà reçu un massage?
– Quelle question man, j´en ai eu full! Des super, des flyés pi des capotés. Mais je cherche quelque chose de plus vrai, moins techno, plus énergétique, tsé veux dire. Je m´installe de quelle façon? Est-ce que j´enlève tout? Est-ce que je garde ma culotte? Est-ce que je mets la tête là…?
Je m´empresse de la rassurer. – Quand c´est la première fois, certaines personnes gardent leur culotte. Ils se rendent vite compte de l´incongruité de la chose. Ils découvrent les simples manipulations de serviettes qui évitent toute exposition aux courants d´air et l´avantage des pétrissages salutaires du bassin. Alors, je quitte la pièce pour me laver les mains et je vous laisse glisser sous les draps.
D´un ton de connaisseur, Marie-Soleil riposte, les joues empourprées : -Je veux juste savoir c´est quoi la game, je ne suis pas puritaine!
Massage intracrânien
Détends-toi, Marie-Soleil. Sois attentive aux vibrations de ton corps. Laisse passer les flots de pensées. Le monde extérieur n´existe plus. Si tu l´entends, dis-lui : -Je ne veux pas être dérangée, je me fais masser, moi, monsieur, car je mérite un bon massage! M´entendez-vous? Entendez- vous mon corps. Écoutez! Mais touchez-moi que diable! Je suis étendue, je suis confortable, allongée sur le ventre, la tête bien calée. Les draps sont doux et chauds. Bon, là j´ai trouvé la posture idéale, là c´est vrai. Je laisse pendre mes bras. Je devrais laisser pendre mes pieds aussi, mais ils sont déjà sur des coussinets, bof! Est-ce que j´ai enlevé mes bas? Bien voyons, je suis nue! Il me semble que je ne le suis pas assez. J´aimerais mieux sans drap, pour sentir l´air, et avec, pour conserver la chaleur. Et si j´étais allongée dans l´autre sens? Les lumières sont éteintes? Non, ce sont mes paupières qui sont fermées. Mais où est-il ? Là-bas, non ici. Qu´est- ce que cela peut faire? Ah oui! Le dos, c´est bon, c´est chaud! Qu´est-ce qui émane de ses mains? J´aime! C´est une brise fraîche d´été ou une vague de chaleur d´hiver. En tout cas, c´est bon. Je devrais lui dire?
De toute façon, il est bien trop loin, au-delà du nuage. Est-ce mon coeur qui bat si fort? Je vois des couleurs. Des couleurs sonores ou des sons colorés? Je ne sais plus. Je dirais plutôt des poissons tropicaux qui se bercent dans un champ de coton où il pleut des fraises. Ouf! Comme sa main est calmante! J´ai l´impression qu´il m´entend penser. Il y a des parties de mon corps que j´ignorais. Bon sang, quelles sont ces manoeuvres? Cela n´a rien à voir avec les autres massages. Je me demande pourquoi….Et puis non j´abandonne, amène- moi où tu veux. Je me perds dans la table, dans les draps, dans le tapis, dans le magma, dans le je ne sais plus quoi! De toute façon, c´est délicieux. Mais, comment ai-je pu me retourner sur le dos?
Mon corps semble soumis à un inventaire systématique, à travers mon réseau de neurones en fête. Je suis bien avec moi ici, maintenant, et dans la suite de mon canal acoustique, de mon nerf optique, de mon larynx qui grogne, mon cou qui picote, mes orteils qui s´éveillent, mes chevilles qui pétillent. Je me reconstruis. Je suis corps et accord. Je réfléchis comme un miroir. Je dirais même, comme des miroirs. Un kaléidoscope, voilà! Les miroirs assimilent les couleurs des sensations, les teintes naissantes se réfractent. Je suis dedans. Je pénètre la géographie des sens, la géométrie des couleurs. Mes neurones ont des formes psychédéliques. Je bascule comme dans une machine à boules de peluche. C´est rythmé, langoureux, paisible. J´espère que le temps ne passe pas trop vite. Est-ce mon téléphone qui sonne? Non, c´est la musique. Au fait, la musique, je n´avais pas remarquée, c´est une ambiance indéfinissable. Et ce fluide qui pénètre ma chair, sensation étrange, qui me rappelle je ne sais quoi de spatial et puis non, je dois admettre que la sensation est nouvelle.
AU-DELÀ DU NUAGE
Je masse un corps réceptif. Son sens tactile est éminemment perspicace. Des capteurs affamés comme des fleurs carnivores, qui absorbent par des milliers de senseurs. Des senseurs pour la force, des senseurs pour la distance, pour la rotation, la contraction, l´étirement. Sa peau mesure les variations rapides, les dérivés des forces de pression ou de la vitesse de glissement. Elle est assurément débordante d´énergie
Marie-Soleil est totalement présente. Je saisis qu´elle vient d´allumer son kaléidoscope. Les nuances se distinguent, pulsations harmoniques, mouvements lymphatiques, flux nerveux régulier, etc. Séquence par séquence, les miroirs convergent ces points de force. Son corps est bavard, mais il semble avoir négligé l´ampleur des gammes tactiles et hors de tout doute, elle veut explorer, apprendre, connaître. Son organe dominant est le Coeur. Son visage est équilibré, son menton est fort, ces épaules s´affirment. Sa peau est démonstrative, les teintes varient selon l´agitation intérieure en harmonie ou en dissonance. Les légères palpitations trahissent un sommeil trouble et la fatigue se dessine dans le coin interne de l´oeil. Elle semble dure avec sa personne et ne pas savoir arrêter. Cela demande une reconnaissance au niveau du sternum et des omoplates avec l´huile essentielle de rose et d´hélychrise, de la nuque et des oreilles avec la menthe poivrée, et du ventre avec le basilic, pour son intestin grêle. Le cerveau de Marie-Soleil baigne dans les ondes alpha, caractéristiques du corps flottant entre l´éveil et le sommeil. Un soubresaut la ramène sous les couvertures duveteuses et embaumées. Elle respire profondément. -Prenez votre temps pour vous lever.
J´en ai manqué des bouts je pense, dit Marie- Soleil. Je lui demande ses commentaires sur ce que ces sens ont perçu. -Vers la fin, je voyais une porte s´ouvrir sur les premières lueurs d´un matin mauve. Je ressens encore l´énergie de cet environnement, les odeurs apaisantes, les sons rassurants, les couleurs réconfortantes. Une vigoureuse vague, une puissance atomique. Oui, c´est ça, je pense que tu m´as massé les atomes et que mes neutrons ne seront plus jamais neutres. Je perçois mieux mon corps dans le vide de l´espace mental où les émotions sont intenses. Je, je, je ne sais pas par où commencer, c´est inexprimable. Et puis zut, je cherche tout simplement à vous dire que j´ai tripé. C´est comme si… c´était mon premier vrai massage!
Auteur :
Pierre Buron
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