Édition – Septembre/octobre 2008
Francesca joue en travaillant comme elle jouait, enfant, sans les préoccupations du regard des autres. Bien avant de devenir styliste, elle s´amuse à vêtir les filles avec des couleurs, des dentelles, des ornements sur des robes excentriques, des survêtements de gymnaste et des sous-vêtements coquins. Elle éprouve une grande joie d´incarner l´allure du charme qui se dégage du bien-être. En quête d´inspiration, elle passe de sa table à dessin, à ma table à massage.
Elle est tout sourire et ses zygomatiques commentent chaque pétrissage. Je lui agrippe les talons pour secouer ces jambes et faire ballotter ces cuisses, le fou rire lui prend. Elle adore ses postures inusitées et ses mouvements extravagants qui déroutent l´esprit. « J´étais la seule extravertie d´une famille de six enfants, me dit- elle. Ma scolarité était un tourbillon, je fuyais le conformisme et les gens trop sérieux. Est-ce pour cela que je suggère à mes clientes d´oser s´habiller comme elles l´entendent? Je trouve que nos métiers se complètent bien : vous équilibrez le corps par le massage et je me fais un plaisir de magnifier leurs vibrations. » – Je n´ai pas de difficulté à croire, Francesca, qu´une femme bien dans sa peau doit être plus facile à habiller. Le tourbillon des obligations féminines restreint les moments intimes. Souvent maman, plutôt deux fois qu´une en comptant le conjoint, elle a développé une forme d´engagement qui ménage l´expression de ses sens. La vie conjugale parvient souvent, à travers les concessions mutuelles, à cloîtrer l´épanouissement. Je crois que le réflexe yang, est d´opter pour un divertissement qui a tendance à tourner en projet ambitieux. Alors que le réflexe yin, plutôt féminin, est de puiser dans sa conscience profonde pour se régénérer.
Patrick vient se faire masser parce qu´il a reçu un certificat-cadeau de Francesca, sa conjointe. Encore un réflexe féminin répandu, de faire partager l´expérience d´un mieux-être. Les questions que je pose à Patrick, concernant ses sens, lui semblent embarrassantes. Une couleur préférée? Un son, une odeur, une texture??? Pourquoi devrais-je avoir une réponse à tout ça? Et vos loisirs? « La fin de semaine, avec les voisins et leurs enfants, nous jouons au soccer. La première fois que j´ai joué, c´était pour faire plaisir aux autres. À ma grande surprise, j´ai pris un plaisir fou à jouer et surtout à gagner. »
Souvent Francesca regarde, avec attendrissement mêlé d´étonnement, la manière dont son conjoint se met, d´un coup, à redevenir enfant. Il s´amuse avec un ballon, une raquette, un hockey… Aujourd´hui, c´est sa fille qui l´a motivé à construire un château de sable. Maya a commencé à faire des pâtés pour y découper des créneaux. Elle s´est réjouie de voir son père lui prêter main- forte. Mais elle s´est désintéressée de la tournure du jeu quand il s´est transformé en entreprise ambitieuse avec des objectifs imposés. Oui, il est là le quiproquo! Jouer pour épater, jouer pour gagner, transformer le jeu en mission.
Toucher et apprendre
L´enfant apprend à nager en touchant l´eau, en la palpant, en la tapotant. Il apprend à nager dans le bonheur de la même façon, en l´explorant. Il a une connaissance innée de la paix et de la détente. Il ne connaît pas l´angoisse d´avoir échoué dans le passé ou de ne pas avoir sa place dans le futur. Il a le réflexe de manifester quand il a faim, de crier quand il a peur, comme de rire dans la minute qui suit, si quelque chose l´amuse. Il a le constant réflexe de toucher en jouant. Les indices issus du monde extérieur se transforment sous l’effet des échanges tactiles et évoluent concrètement en prenant une signification motrice et donc conceptuelle. Le concept du soi et du bien- être émerge à partir d´une sensation. Ainsi l´enfant peut-il connaître et deviner les intentions de ses parents même s’il ne parle pas encore. Il évolue en décodant le geste et le contact des personnes de son entourage. C´est dans cette merveilleuse période de la tendre enfance que se discernent ou se discriminent les sensations. Le développement du langage du toucher génère la formulation d’un lexique symbolique fondé sur la qualité de ses contacts.
L´enfant est ouvert à toutes les formes de langage, mais si on lui impose une restriction, « Ne mets pas les doigts dans ton nez », qui plus est en le menaçant du doigt, on le brimera sur une chaîne entière d´information sensorielle. Les neurones se développent, se sélectionnent et se raffinent au cours d’un long processus d’adaptation au monde extérieur. Francesca, dans sa nature humble et détendue, influence Maya. L’évolution et l’expérimentation de sa fille accompagnent les interactions continues entre son corps, son cerveau et son environnement. L´épanouissement intérieur s´apprivoise par cette conscience, de ses goûts et de ses désirs. Ainsi se cultive le noble esprit, celui qui permettra de comprendre son biorythme, de développer ses facultés et de compter sur ses sensations propres pour vivre le bien-être.
Épanouissement d’abord
Toute action humaine est avant tout, provoquée par une émotion ou un sentiment. Ceux-ci n´ont rien à voir avec l´intelligence ou la raison. Encore une fois, l´intelligence ne suffit pas à la compréhension de soi-même. Il faut la perception, la sensibilisation dans l´action humaine qui se traduit par une émotion qui provient de la stimulation d´un ou plusieurs organes. Une émotion est une vibration qui blesse si elle se heurte à une tension déjà présente. Aucun mot, aucun élixir n´apaise comme étreindre quelqu´un dans une crise émotionnelle. Si on résiste à ses émotions, elles deviendront hyperémotivité. On en reconnaîtra les réactions excessives : les rires et les pleurs exagérés et spasmodiques, ainsi que les gestes saccadés. Si je mime, à Maya, un animal sauvage qui rugit, elle entre dans le jeu si elle est détendue. Par contre, si elle est tendue, elle sera effrayée.
C´est dans ce processus physiologique et biologique que le massage calme le corps. La personne se sent écoutée et respectée et son esprit accède à un meilleur discernement. C´est ce même processus de développement qui renforce le bien- être, lorsque la personne se sent unie, donc détendue. Les systèmes du corps se trouvent rassemblés et chaque particularité de son tempérament fusionne dans un processus cohérent vers l´essentiel. Prendre conscience par les sens, incarne la prise de conscience, la présence d´esprit.
LE MASSAGE précurseur de la spiritualité
Quel que soit son héritage génétique et culturel, l´Être a une connaissance innée, du silence, de l´intériorité et de la perception. Le massage est un vocabulaire qui permet d´articuler l´acte instinctif d´être touché comme de se toucher. Lorsqu´il y a tension, le massage permet de prendre conscience qu´il est réjouissant de s´en libérer. Une personne parvenue à sa maturité physique, intellectuelle et affective, préserve naturellement sa sensualité et son talent à méditer. Elle discerne, par exemple, la finesse et les nuances d´une fleur. Elle se nourrit de son odeur et converge l´expérience sensorielle au goût, à sa constitution palpable, à sa vibration. Sans l´expérience, l´esprit est faible.
La meilleure façon d´inculquer ses connaissances à sa fille, c´est par l´exemple. L´enfant, que Francesca demeure, s´est émancipée à partir de cette transformation de l´esprit obtenue par une acuité des sens, en s´ancrant dans la vie avec son vaisseau. Oui, n´est-ce pas ainsi qu´on baptise un grand navire massé par l´eau, voguant sur les mers houleuses des pulsions et des impulsions, dans les havres de paix où nagent les réflexions et le sens de la justice, par delà ces continents de désirs où bourlinguent le doute et les enjeux de la foi, où navigue la lampe tempête dans laquelle luit avec intensité, la flamme de la spiritualité?
Auteur :
Pierre Buron
514-266-6755
massageheza@gmail.com
www.massageheza.com