Édition – Juillet/août 2004
Céline vient de se retourner sur le dos, la seule tâche à accomplir durant une session de massage. Lorsque je frictionne son grand pectoral gauche, elle échappe un souffle profond. Est-ce la manipulation du méridien de l’estomac qui l’apaise ou l’huile d’eucalyptus qui incite à relâcher pour mieux reprendre sa respiration ? Je masse doucement en dispersion, vers l’épaule. À sa grande surprise, Céline sanglote. Je lui demande d’habiter cette sensation en toute sécurité. Le côté gauche devient beaucoup plus tendu que le droit. Je glisse donc une main sous l’omoplate et l’autre continue de masser en vibrations douces en alternance avec des pressions. Soudain, Céline se met à pleurer à chaudes larmes et son corps se met à frémir.
Elle se voit, à 8 ans, presque évanouie sur le bord de la piscine municipale. Elle s’était précipitée du plongeoir de 3 mètres, pour faire comme les grandes. Son épaule s’était disloquée. Après d’interminables secondes de confusion et un bon bouillon, elle sort de peine et de misère de l’eau. Personne n’y porte attention. Tout est flou autour d’elle. Comme elle se sent coupable d’avoir commis cette bêtise, elle ne demande pas d’aide. Elle agrippe ces doigts, comme elle peut, à la clôture de broche et tire avec l’intention d’arracher autant la clôture que son bras douloureux. Son épaule se replace tant bien que mal.
Les grandes ne pleurent pas
Elle ne demande pas d’aide, à l’époque. Elle est la plus vieille de la famille, la responsable. Il fallait être débrouillard et brave et ne pas trop perdre son temps au parc et à la piscine. Aujourd’hui, Céline me confie qu’elle consulte, à cause de ses relations compliquées, parce qu’elle exprime rarement ses états d’âme. Pire, quand elle les exprime, elle le fait de façon savante et avec une précision étonnante, à la manière des religieuses, qui l’ont formée. Elle se rendait compte maintenant que, trop concentrée sur l’obsession du langage et du raisonnement, elle ne s’était jamais permise de ressentir avec ses sens.
“Je constate comment il est plus facile d’accéder aux émotions par le corps que par la parole”, me dit- elle ! ” C’est comme si je cherchais trop et que les émotions attendent que les choses se calment pour faire surface. Depuis que je me fais masser, je n’ai jamais connu d’aussi grands progrès dans mes relations avec les autres.”
Écoutez, d’abord, son corps
L’incontournable vécu corporel dans notre rapport avec les autres et avec l’environnement est le repère de nos relations affectives. Ce n’est pas en ignorant ces moments de détresse qu’ils disparaissent, c’est au contraire en leur accordant l’opportunité de se manifester qu’ils se libèrent. Une émotion est avant tout une sensation, fine ou forte, que le corps mémorise. Et pour que ce souvenir remonte à la conscience, il faut le toucher. De chaque empreinte de jadis, émane non seulement une impression… mais des répercussions de cette expérience. Aujourd’hui, son corps lui raconte. Il ne blâme ni magnifie. C’est l’instinct de Céline qui a enfin la parole. De nouvelles relations se déploient, sans l’intoxication par les remèdes miracles, sans le fanatisme de la performance et surtout sans la dictature de la raison.
Auteur :
Pierre Buron
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