Pendant que ma table est en réparation, j’ai remonté mon ancienne, un modèle un peu lourd qui dispose d’un tiroir. Quelle n’est pas ma surprise d’y retrouver ma première carte professionnelle aux coins rognés, des bouchons de rechange pour bouteilles d’huile essentielle, un bout de crayon de plomb avec son efface usée, et des paperasses. Vingt-cinq années se sont écoulées depuis. À première vue, je ne me souviens pas avoir écrit ces pages, encore moins avoir dessiné ces croquis. Une autre personne que moi n’y aurait vu que des gribouillis.
Je découvre avec étonnement que ces feuilles ont conservé leur charge d’émotions. Les esquisses tracées me rappellent, tout à coup, l’acharnement à rechercher la meilleure application de mes mains sur l’occiput et le sacrum, en fonction de la sensibilité de ma paume ou des extrémités de mes doigts. Quelle était, pour moi, la meilleure manière de sentir, de détecter le fonctionnement physiologique? Quelques coups de crayon sur la première page suggéraient même le positionnement de mon corps pendant l’exécution du traitement. Les détails prennent vie dans un frémissement de sympathie. La deuxième page résumait les particularités à déceler la rigidité du crâne ou du sacrum, le rythme de la respiration, la température des deux pôles… Je me surprends à reproduire, avec ma main, le mouvement suggéré sur l’ébauche des os du bassin, dessiné au haut de la page suivante. Je me rappelle les nombreuses séances de pratique et le premier client officiel à qui j’avais fait cette application. Je pouvais sentir le déplacement respiratoire rythmique et le mouvement veineux. Le client avait commenté d’ailleurs cette étrange sensation de circulation énergétique. Certes, il n’y a pas de prétention thérapeutique dans ce geste, mais, par son intensité, cette séquence c’est avéré indispensable pour amorcer la diminution de la tension et entraîner la détente. Comme les appréciations de ma nouvelle clientèle furent toujours favorables quand il était question des manipulations craniosacré, j’allais désormais inclure ces manoeuvres dans tous mes massages.
À chaque fois, cette application provoque son effet. À chaque fois l’effet est distinct et profond. De l’apaisement jusqu’aux frémissements, de l’attendrissement jusqu’aux larmes.
Une dernière page est griffonnée d’ébauches de l’articulation craniosacré. Des flèches rouges serpentaient vers des notes sur les anomalies de structure ou de fonctionnement des systèmes nerveux, musculo-squelettique ou cardio-vasculaire, qui pouvaient influencer le système craniosacré. Puis, une liste de champs d’applications regroupait des thématiques: La nature d’une pression adéquate, la signification des pulsations asynchrones, l’influence des cycles respiratoires… Au fur et à mesure que je lis, je me rends compte que je me souviens à peine de tous ces détails.
Aujourd’hui, sur ma bonne vieille table, après un massage de type shiatsu de la colonne vertébrale et le balayage du dos avec les avant-bras, la cliente aura droit à un traitement craniosacré avec une mise à jour toute spéciale. En réalité, mes mains n´ont cure des détails techniques en effervescence dans ma mémoire profonde. Elles savent être à l’écoute, elles mobilisent tous les systèmes organiques. Je suis là, de nouveau à écouter, mais vingt-cinq ans se sont passés. Remarquablement, ce moment se révèle encore intense. Je sens les os du crâne bougés comme si ses yeux cherchaient à lire ses pensées. La température du sacrum augmente, le corps sourit. Il y a bien encore dans l’air, ce constant renouvellement lumineux. Une lumière, à faire fuir toutes les tristesses du monde, qui jaillit par un tiroir qui s’ouvre. Puis, dans ce silence, s’élève la voix de ma cliente, un son poussé par un long souffle.
Oui! D’abord ouvrir le tiroir… pour accueillir, dans sa propre perception de son univers, le pouvoir infini du toucher, qui régénère la conscience profonde.
Auteur :
Pierre Buron
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