Édition – Juin 2011
Dans mon petit questionnaire au nouveau client, il y a une question, sur les activités et loisirs, pour me faire une idée des occupations habituelles de la personne. Chez la femme, la danse sous toutes ces formes, est la réponse la plus fréquente. Plusieurs préfèrent les danses sociales, certaines se laissent entraîner par le tango, d’autres par le folklore. Les plus énergiques virevoltent en danses acrobatiques, les plus langoureuses se déhanchent en danses orientales et les plus rangées battent la mesure dans les danses en ligne.
Sandrine et Cléo ont mis sur pied un travail de recherche sur l’évasion spontanée par la danse. Elles ont formé un groupe d’observation en sélectionnant les participants parmi quatre écoles de danse privées et les deux centres communautaires du quartier. Leur but est de mettre en relation l’émancipation du corps et sa conscience. Le mémoire s’intitule: Le potentiel créatif du mouvement entre l’inspiration et les inhibitions. Ô la la, direz-vous! Un p’tit massage avec ça?
Sandrine enseigne le ballet jazz et Cléo fait de la danse sociale niveau compétition. L’une apprécie le talent de l’autre, et les deux considèrent leur approche comme complémentaire. Sandrine confie à Cléo que le massage est un atout précieux dans sa mise en forme. Cléo, qui vient récemment de découvrir le massage holistique, constate qu’elle a le même massothérapeute.
Sandrine vient se faire masser depuis qu´elle enseigne à temps plein. – J´avais appris à jouer la passion, la légèreté, la fureur, me confie-t- elle, et j´imposais cette démarche à mon corps. Le massage m´a permis de penser à moi d´abord et mieux ressentir mes limites. Quant à Cléo, elle explique sa ligne de conduite: -Le massage me permet une détente profonde et répond non seulement à ce désir d´équilibre physique, mais également à ce besoin de percevoir mes réflexes avec sensibilité et intelligence. Moi et ma collègue reconnaissons que le massage diminue l’anxiété en réduisant la quantité d’hormones de stress. Nous comprenons aussi que le massage contribue à l’amplitude des mouvements, y compris l’extension du cou et l’abduction de l’épaule, renchérit Sandrine. Comme le disait votre récent article intitulé, “Dans la m…jusqu’au cou”, je crois que ce sont les mouvements de tête qui témoignent de manière subtile de la souplesse du danseur. La complexité de certains mouvements de tête impose un entraînement. Pour que les mouvements des danseuses correspondent à l’ensemble de la chorégraphie, elles doivent se soumettre. L’intégration propre du geste, elle, ne se commande pas. La beauté du mouvement est rarement dans la discipline de se conformer, mais se retrouve dans le plaisir de l’exprimer, aisément, à l’unisson.
Sandrine et Cléo ont donc ajouté à leur travail de recherche le massage holistique comme complément harmonieux pour mettre en lumière l’équilibre et le bien-être de la danseuse.
Jouer à la souris
Portée par un rythme, la danseuse doit entrer dans un état particulier qui lui permet d’atteindre la vibration sensitive pour produire l’énergie et construire la sensation de tempo. Elle oscille, souvent, entre se conformer à la codification chorégraphique et l´envie de s´en libérer. Je dis bien “l’envie” dans le sens d’une convoitise qui suscite une attention soutenue et donc, une dépense énergétique constante. Si le corps est en déficience, il consommera une énergie empruntée à des fonctions vitales, comme le ferait un sportif dans une épreuve exigeante. Le visage exprimera sans équivoque cette déficience, comme une crampe par exemple. L’oeil sera méfiant, la mâchoire sera contractée et le sourire absent. La danseuse, elle, doit s´efforcer, en plus, de se composer une image pour jouer l’impression de légèreté et de liberté.
Annie estime que le contact physique est quelque chose qu’elle connaît, du moins, le croyait-elle! Je sais que je suis ici pour lâcher- prise et, au début, je considérais le masseur comme un partenaire de danse. Si ta main frôlait mon épaule, sans même le vouloir, mon épaule se dressait. Si tu tournais ma main, elle se dépliait. Si tu levais mon genou, ma jambe montait. Et puis, soudain, je me suis rendue compte que mon corps cherchait à deviner et à suivre les manipulations. Ton toucher à eu raison de mon intellect par des temps de pause calmants, le contact profond et la douceur.
Chacune des participantes avait ces appréhensions. La frêle Dominique craignait le masseur parce que sa plantureuse copine Véronique s’était apitoyée sur les courbatures soi-disant causées par le massage. Elle se disait que le masseur allait lui varloper les pétales et qu´elle ne danserait plus jamais. Au contraire, le massage a submergé son cerveau d’ondes alpha, celles de la détente cérébrale, et libéré un flot d’endorphines à l’effet euphorisant. Joanna aussi, constate que son humeur s’améliore, Virginie s’étonne d’une meilleure capacité à respirer. Marie-Claude parle du regard des autres et du lâcher prise: “Quand je suis dans un rôle, j’ai l’impression d’avoir l’assentiment de tous. Quand il s’agit de moi, j’ai de la difficulté à lâcher prise et de m’accepter sans jugement.
Sur la table de massage, il n’y a pas de faux fuyants. Le corps ne peut mentir. Les zones froides vont trahir le manque de circulation libre, comme les raideurs vont dénoncer des tensions des muscles qui se préparent à réagir. Les rougeurs et les frissons, comme les inspirations et les expirations soudaines vont traduire une réaction à l’effet du toucher. Le fait de masser une région musculaire par l’utilisation de mouvements appropriés permettra non seulement la libération de la tension musculaire, mais aussi l’émotion se rapportant à cette tension.
C’est le propre du massage d’explorer ses facultés, d’accepter ses limites et de connaître ses faiblesses. Le massage nous donne une perception plus lucide, en nous permettant de mieux nous resituer par rapport à nos actes et à notre environnement, nous acquérons progressivement un sentiment de plus grande maîtrise. Graduellement, le mécanisme de relaxation répliquera à l’effort démesuré. La détente permet de se défaire également des expériences de stress accumulées dans l’inconscient. Elle diminue notre résistance aux refoulements et élimine la peur. D’un point de vue tactile, le massage a cette capacité à atteindre un haut niveau de pure détente et donc, de pure jouissance.
Appeler un chat un chat
À force d’imiter le pas furtif du félin et les bonds de la gazelle, de mimer la paysanne qui récolte ou la lavandière qui essore son linge, l’expression de joie ou de colère de la danseuse deviennent des réflexes conditionnés. Il y a peu de sentiments authentiques. La performance de la danseuse repose sur des techniques pour utiliser son corps. Dans l’enthousiasme du mouvement, il y a une dépense énergétique, et elle est d’autant plus importante dans le contact physique avec l’autre. Lorsqu’un sujet bouge, il influence les performances de l’autre, même à son insu, il subit la proximité des autres corps. Dans les séances d’improvisation en danse contact, la performance apparaît comme une réaction contre les formes sociales déterminées. La démonstration du groupe permet pour certains sujets de se nourrir de cette énergie de groupe, alors que la majorité subit le stress collectif. La liberté de toucher est devenue l’inconsciente consigne de toucher et, de ce fait, mon expérience est entravée par cette contrainte. Je me prétends “électron libre”. Pourtant, l’électron libre qui prend contact avec un autre, la durée d’un instant, est dans l’impossibilité de retrouver cette conjonction (librement) à moins que dans leur conscience profonde, ils entreprennent un pointilleux processus de répétitivités. Nous sommes encore dans l’intention de performer.
La danse oscille en permanence entre la mise en place de structures chorégraphiques et la liberté de leur échapper. Dans les danses animalières, le folklore vaudou, le flamenco, certaines danses orientales ou de jazz moderne, le dialogue répond à un besoin cathartique. La transe, l´exaltation ou les débordements qui apparaissent chez le performeur, le percussionniste ou le partenaire correspondent à une façon de communiquer dans un monde habité, c’est-à-dire un environnement vivant. Je mime une action dans l’intention d’être compris. Il y a, donc, des règles du jeu.
Les paramètres codifiés des danses traditionnelles et des danses de société reflètent une culture gestuelle partagée. Les mouvements prédéfinis laissent toujours une certaine liberté d’exécution aux interprètes. Encore là, la performance apparaît dans un dialogue aux répliques connues, mais interprétées de bien des façons. Déjà que, dans la danse, je ne respecte pas les conditionnements habituels de l’utilisation de mon corps, je peux tout autant désobéir au meneur de rondes. La danse est liée à une logique physique du corps qui se manifeste par une vigueur insoupçonnée de plusieurs énergies. Ce qui explique cette dynamique où je m’arrime à l’énergie que je déploie. Comme si c’était l’énergie évacuée qui me faisait tourbillonner. C’est un comportement ancien, primitif, hallucinant.
Nos danseuses éreintées doivent pouvoir se ressourcer. Le massage permettra d’éliminer les douleurs en écartant les agresseurs de façon à ne plus contrarier les réactions organiques qui visent à rétablir l’équilibre. Mais c’est avant de jouer ou de se surpasser que le massage est le plus efficace. Dans une apparente immobilité et un calme méditatif, le corps a besoin de s’écouter, pour laisser émaner, à même cette énergie vitale, cette quête d’unité.
Auteur :
Pierre Buron
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