Édition – Avril 2011
Lorsque les courbatures et les douleurs apparaissent, elles tentent de vous rappeler à l’essentiel, prendre soin de vous. Le massage encourage l’organisme à rétablir son équilibre et rafraîchit les facultés intuitives. Il s’agit simplement d’élever la conscience du corps, plutôt que de céder à la tentation d’intellectualiser ses malaises.
Diane verbalisait ces contrariétés avant que le masseur en vienne à effacer les tensions.
-C’est à cause de votre chronique sur Jeannine (M’aiderais-tu à mourir) que je viens vous voir. Moi aussi je suis infirmière et j’ai déjà eu l’envie d’abandonner. Maintenant, j’ai plutôt le goût de mordre.
– Je peux comprendre votre exaspération Diane, mais ce n’est pas moi qu’il faut mordre. Je souhaite que mes mains vous fassent lâcher prise. Vous serez, alors, en mesure de mieux partager votre état de bien-être et non votre exaspération.
– Ce n’est pas tant mon bien-être que je veux partager, mais mon opinion. Jeannine avait raison de dire que la maladie est une matière première. Le cancer, il est dans notre système, dans notre génétique sociale. Ce type de maladie qui engendre des Centres Hospitaliers Industriels comme on entretient l’industrie de la télévision, à coup de subventions et d’incitations à la consommation.
– Vos préoccupations m’apparaissent confuses. Vous parlez de plusieurs choses distinctes comme s’il s’agissait d’un complot.
-Mais c’est une conspiration, Pierre! Une conspiration à laquelle participent les médias, machinalement. À force de l’étaler quotidiennement à l’écran, on banalise la personne souffrante. La maladie est devenue un sport professionnel, ce sont les statistiques qui priment. Huit radios, sept tomographies, six pilules, cinq rechutes, quatre incurables, trois spécialistes, deux millions, un téléthon. Ce sont les politiques économiques qui déteignent sur les relations sociales. On pense que la guérison s’achète et que la santé vaincra ses adversaires avec une équipe plus riche et des équipiers empochant de gros salaires.
Qu’est-ce qu’elle est agressive Diane! À mordre ainsi, les mâchoires vont s’épuiser. Pensez-vous? C’est l’inverse. Ma tentative de la ramener dans l’instant présent, dans son corps, le temps de lui demander ce qu’elle ressent; les mandibules se tuméfient. L’amertume et la colère prennent force. Et elle reprend le mors aux dents. Savez-vous, me dit-elle, ce qui m’est arrivé à l’hôpital cette semaine? Une équipe de reportage de télévision s’est pointée à l’hôpital pour tourner des scènes générales d’ambiance. La scripte-assistante m’a demandé de signer une décharge permettant d’utiliser mon image aux fins d’illustrations sur des sujets divers concernant le besoin d’un nouveau scanographe ou la prescription de nouveaux médicaments. -“Non mais, imaginez cette télé de faux-culs qui se mêle de promouvoir des pilules à la mode et des appareils de haute prétention technologique. Comme si le tâtonnement technique était la solution à nos défaillances. Comble du ridicule, la scripte me parlait de réserve d’images pour le prochain téléthon!
-Je comprends le désagrément que vous éprouvez Diane, mais vous ne cherchez pas à me convaincre, toujours?
-Non bien sûr , mais laissez moi continuer, je serai brève! Juste pour vous dire qu’un téléthon est le résultat d’une société médiocre et non-engagée, qui laisse à des gens d’affaires, encore d’autres bandits en cravate, le privilège de faire des messes païennes, célébrant le veau d’or de la générosité hystérique. Les charitables candides veulent le bien des misérables en autant que la fête soit fastueuse et que l’infirme soit mignon dans son fauteuil roulant, devant le tableau des statistiques. Et tout le monde applaudira parce qu’on vient de franchir la barrière du million $ qui ne fera que bonifier les primes des coachs de nos malades professionnels. Et le faux pli est pris. Vous avez acheté aux enchères, de la santé synthétique, aux profits des clubs sportifs de malades. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement? Et il n’y a pas que le malade qui soit exploité. Le téléspectateur se complait dans sa situation d’otage. Il sert de faux témoin à des sondages montés de toutes pièces et à des publicités mensongères.
Vous savez, cette télé qui vous enseigne la vie! Je veux dire la vie de ceux qui courent après le bonheur matériel et réussissent si peu à nous convaincre, qu´ils rediffusent constamment le même cabotinage. Peut-on seulement penser à quel point la télévision considère le téléspectateur comme un aliéné, pour laisser vomir la même pub de trente secondes, cinq ou six fois d’affilée, pour mieux gaver le téléphage. Le public est un déchet recyclable. Ce qu’on recycle en lui, c’est sa capacité à consommer, à payer, à travestir la vérité. Il s’automutile en jouant, dans les émissions, son rôle de faux public qui applaudit avant même de savoir pourquoi il le fait! Il sert de décor sur lequel on ajoute de faux rires. Face à l’impasse et l’insolubilité devant la maladie, les médias en ont fait une nouvelle à sensations, aux statistiques de probabilités, de handicaps, de records. Ma maladie est la plus populaire, la tienne est la plus pathétique, la mienne est la plus mortelle. Je disais bien comme un sport, où le malade professionnel DOIT consommer les drogues, contrairement aux olympiens. Et vous pouvez miser sur la personne faible, comme un cheval perdant dont la cote des indulgences est élevée; depuis les personnes âgées qui constituent les plus nombreux drogués, jusqu’au téléthon pour les enfants atteints de dystrophie monétaire. Je reste d’autant convaincue que la principale cause de toutes maladies est le surmenage et ce qui surmène le plus le cerveau, c’est notre télévision habilitée à mendier pour des produits superficiels. Ça indique monsieur, que les valeurs de la race humaine ont bien changé.
Enfin, nous entreprenons le massage. Diane est allongée, la tête vidée de ces récriminations. D’habitude, tout en plaçant les coussins sous les chevilles, je demande à ma cliente si actuellement elle prend un médicament. Mais je n’ose pas relancer le débat. Nous venions, à l’instant où je dépose mes mains sur ses côtes, de commencer le réel dialogue avec un corps exténué qui désire profiter pleinement de ses facultés intuitives. Diane n’est pas malade, mais la maladie prend trop de place dans son quotidien.
Auteur :
Pierre Buron
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