Édition – Décembre 2007
J’ouvre la porte, le vent soufflait si fort que Thania est entrée dans le vestibule sans marcher. Elle portait des paquets qui la maintenaient en équilibre. « Tu viens d’aller faire tes courses? » -« Non, c’est pour toi, de la part de la famille Levchenko. Des surprises pour finir l’année en beauté. » – Beauté dites-vous! Tout est beau aujourd’hui : la neige, une douce émanation de bien-être, une cliente joyeuse et un sourire de lumière.
Ils ont tous ce sourire radieux dans cette famille d’origine ukrainienne, de Rosemont. Les filles ont les yeux bleus et les gars ont les cheveux blonds. Nadya et Serge ont les gènes robustes. Leurs enfants Thania et Greg en ont hérité, oxy-gène en bonus. Quand l’un d’eux arrive, il y a toujours un vent de fraîcheur dans ma salle de massage. Aujourd’hui, le vent a bon coeur. En gratouillant les papiers d’emballage, je découvre un pain rouge à la mélasse de betterave, une confiture de prunes au genièvre, un kutia aux noix et un pot de golubsi, cigares aux choux dans une sauce crémeuse à la tomate. Comme il est doux de recevoir! Je ne trouve pas les mots. Je m’exprime mieux en massant qu’en parlant. Thania essaye d’atténuer mon émoi : « Ce ne sont que des petites pensées, dit-elle, quand on pense à tout vos bons soins! »
Masseur de familles
Qu’elle est belle, cette sympathie familiale qui engendre cette chaleur humaine! Mes yeux flottent de gratitude. Je pense aux Gauthier qui ces derniers jours sont venus en rafale. Marie- Claude, la plus jeune, fût la première à venir se faire masser il y quelques années. Elle persuada son père de recevoir le premier massage de sa vie à 60 ans. Cela a disposé sa mère à renouer avec le massage, mais avec une attitude nouvelle, s’accorder du bon temps sans culpabiliser. Et le grand frère, pour ne pas être en reste, était venu avec nonchalance, mais ne rate plus aucune occasion pour se détendre. Il y a aussi les Gagnon qui sont venus l’un après l’autre, pour briser les sempiternelles litanies des malaises articulaires. Ils ont ainsi cessé de fixer sur les symptômes des générations précédentes.
Thania profite de la séance de déballage pour raconter : «Quand nous habitions tous à la maison, et que ça bavardait massage, nous parlions de la relation de nos faiblesses avec nos défauts; mes entorses faciles avec mes reins paresseux, l’asthme de ma mère avec ses excès d’épices, la calvitie de mon père avec sa vésicule engorgée, les saignements de nez de mon frère avec ses problèmes de gros intestin… Avec le temps et surtout depuis qu’on ne se rencontre qu’à tous les deux dimanches, la famille s’entretient à la manière du massothérapeute. Nous parlons non seulement des signaux qui émergent du corps mais des solutions qui y succèdent. De ces sensations qui indiquent les modulations d’une zone en reconstruction. Je ne suis plus sceptique à propos de mes malaises. Je suis plutôt réconfortée par, ce que j’interprète maintenant comme, ces transitions vers le mieux-être. »
Chacun s’en moquait beaucoup
C’est vrai que Daniel Gagnon avait aussi secoué ses branches généalogiques en arrêtant de considérer qu’il transportait le gène calamiteux à chaque fois que cela n’allait pas. Il avait constaté ce petit brin de moquerie de son entourage, quand il intellectualisait trop le langage de ses sens. Son travail de psychologue avait entraîné le réflexe de coller un raisonnement sur chaque sensation. Ses aperceptions neutralisaient les stimuli concrets de son environnement familial. Tout s’est réglé naturellement quand parents et enfants ont remplacé leurs doléances par le partage des manifestations physiques de leur mieux-être.
Thania fait partie des clientes exceptionnelles que j’ai massées pour la première fois dans le ventre de leur mère. Je discerne ces tensions régulières autant que les signes de nervosité des grands évènements. Aussi son visage radieux et ces petites rougeurs vont m’annoncer une nouvelle. C’est la beauté de mon métier. On vient souvent voir le masseur parce qu’on a un examen ou une entrevue à passer le lendemain. Parce qu’on est à la veille d’une grande décision ou parce que c’est notre anniversaire. « Je suis enceinte de neuf semaines, » me dit-elle. -Comme c’est beau ! C’est comme un grand chelem. Quelle belle mélodie ! Sortons les huiles de marjolaine, de lavande et de mandarine, le bonheur va entrer de partout.
Ce petit gène au nez rouge est prodigieux car il rime avec dynamogène. Vous avez déjà senti cette fébrilité quand une chorale s’égosille d’allégresse, quand un coucher de soleil vous promet des lendemains flamboyants, quand un temple de la paix enlumine votre cœur. Cette impétuosité, cette intensité, cette foi transporte les plus belles promesses, puisque c’est en vous que vous croyez.
Et la chorale d’entonner :
Ah, pouvons-nous acclamer enfin
Sous l’effet de vos bienfaisantes mains
Détente, repos, si bien mérités
Que nos soupirs viennent témoigner
Ah, comme il était mignon
Le petit gène au nez rouge
Qui fait neiger le ciel.
Joyeux Noël !
Auteur :
Pierre Buron
514-266-6755
massageheza@gmail.com
www.massageheza.com