Édition – Novembre 2005
Zita me gargouille qu’elle vient de loin pour me voir. Elle a de petites antennes qui pendent de chaque côté de sa crinière laquée. Elle porte l’équivalent de son poids en anneaux de métal autour du col et de ses tentacules, servant sans doute d’amplificateur à son émetteur collé sur son ombilic. Je soupçonne que les revêtements de couleur sur son faciès doivent désigner l’appartenance à son clan ou indiquer son humeur ? L’androïde a un petit quelque chose d’humain malgré son teint turquoise et sa silhouette coincée dans son costume fluorescent.
Zita a eu l’idée de contacter un massothérapeute parce qu’elle a de la difficulté à absorber des substances étrangères dans son corps et qu’elle a de plus en plus de problèmes de vaisseaux ! Elle a découvert depuis sa navette orbitale et par l’intermédiaire de son cerveau numérique, que les terriens peuvent demeurer fonctionnels et autonomes grâce aux soins attentifs de leur corps sous toutes ses dimensions et particulièrement de l’entretien de leur sens du “toucher”. Ces mortels, semble-t- il, possèdent toutefois la faculté d’auto-guérison !!! Oui, oui ! Même que certains humanoïdes peuvent encore utiliser leur sensibilité pour apprécier et jouir de la vie sans substances sédatives ou stimulantes et sans module de télécommunication. Bip.
Toujours dans son ordinateur, un fichier lui révèle, qu’en se faisant masser, le corps retrouve bien-être, repos et paix. Même que ce futé de micro encéphale lui démontre que “Masser” n’est pas recevoir une masse d’instructions techniques servant à rapiécer son organisme et imposer son contrôle, ni avaler une “masse” de produits chimiques pour lubrifier les circuits énergétiques. La massothérapie procure le plaisir inexprimable de reconnaître la vitalité de ses sens et de ce fait, donner libre cours à l’énergie régénératrice. Bzzz.
MUTANTE ZITA
Zita me demande où elle peut éteindre son tube de fumée. Sa bouche rouge m’indique d’ailleurs une combustion interne élevée. Il s’en échappe des sons que j’interprète comme un langage. Je saisis, dans son sifflement, qu’elle recherche un guide pour inverser sa transmutation. Elle a repéré le mot “friction” dans son fichier sur le massage et, justement, elle me communique qu’elle a des frictions avec la nourriture, frictions avec l’amour, frictions avec son corps, frictions avec son âme, frictions, frictions, frictions. Là-dessus, ces orbites gonflent et s’inondent d’un liquide luminescent. Snif.
Toujours est-il, qu’une trop grande dépense d’E=Mc2 surchauffe les circuits et qu’elle prendrait bien une douche d’H²0. Elle s’engloutit dans la salle de bain pour enlever sa tenue spatiale et son gréement. Cela me permet de compléter sa fiche et de démêler mon questionnaire qui me révèle que, jusqu’à maintenant, ça va pas pire, mais qu’après tout, ça va très mal ??? Une alarme intergalactique se fait entendre. A-t-elle pris ma douche pour une cabine de télé transportation ? Un bruit de quincaillerie me fait sursauter. Elle a probablement échappé une pièce de son scaphandre. Ça remue, ça brasse puis enfin l’alarme cesse. Peut-être un téléphone cellulaire ? Cependant des gloussements se confondent avec des gargarismes entrecoupés de farouches expectorations. Peut- être que l’eau n’est pas compatible avec son rayonnement électromagnétique ? Bloug.
TABLE DE CONVERSION
En matière de corps humain, je m’y connais, mais en matière d’extra-terrestres, c’est délicat, vous en conviendrez. Le décryptage d’un corps tatoué et probablement radioactif requiert une prudence certaine. Elle est donc étendue sur la table à la façon des naturistes, comme si cela signifiait: irradiez mon corps de votre science. J’estime qu’elle a, à peu près, 134 ans, un siècle de trop consignerai-je plus tard ! En déposant mes mains sur son sacrum, se révèle à moi une créature inconnue. J’ai bien repéré quelques cicatrices, mais ce ne sont pas des implants bioniques. Sous mes yeux, j’observe la métamorphose de la couleur et de la texture de sa peau. Je constate d’abord qu’elle appartient bien à notre planète, Mes mains détectent ensuite, avec précaution, les blocages et les déséquilibres. Cependant, je reconnais rapidement un cas d’extrême fatigue. La surtension du cerveau, pour déjouer son surmenage, amplifie son épuisement. Un cas flagrant de Coefficent-Espace-Temps. C’est-à- dire, la valeur que vous donnez à votre espace vital et le temps réel que vous vous consacrez.
COURRIER ÉLECTRONIQUE
Cher masseur,
J’ai beau oeuvrer dans une autre galaxie, je prépare ma prochaine expédition dans la vôtre. J’ai un plaisir fou à opérer le clavier cette semaine. J’ai pris l’habitude d’écrire dans votre langage chaque jour, pour m’amuser et pour mieux décrire mes sensations. Puis tout à coup, je me suis dit que je vous devais bien quelques précisions, pour vos notes de bord. Je ne sais si c’est le massage qui m’ouvre les hublots, mais il est clair que je découvre un autre monde. La vie est chouette quand il s’agit de vos frictions. Ce mot me fait sourire maintenant. Il adoucit mes échecs, accompagne mon coeur affligé et me rappelle de modérer mes transports cosmiques. Je me rappelle soudain que mes premiers souvenirs sont des gestes de tendresse et de divines odeurs. J’avoue être un enfant de la terre, et mes plus grands bonheurs sont de ressentir ce qui ressemble tant aux mains sécurisantes de mon père ou de jouer à être bercée comme un bébé, par ma maman. J’admets que mes grands malheurs étaient de garder mes distances et de ne pas trop manifester d’enthousiasme quand il s’agissait de mon bonheur personnel. Je comprends que mes valeurs sont miennes et justes. Que mes émotions peuvent se partager sans être comparées. Que mes sens ont un sens. J’ai envie de vivre, ma vie de super femme et de la goûter. Que la paix soit avec moi.
Chère Zita, bienvenue à bord. Vous n’êtes désormais plus un clone de la productivité. Ce que vous ressentez est une déprogrammation de la perception du regard des autres et de la performance. Ces métamorphoses s’accomplissent à des niveaux subtils, bien au-delà des jeux de mots et des jeux de mains. Je me réjouis de votre enthousiasme et vous méritez une vie heureuse. Croyez en vous et croyez en l’abondance. Vos prochaines excursions vous révéleront que vous pouvez, même, survivre au trop plein d’affections et au trop plein de frictions.
Auteur :
Pierre Buron
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